Phosphates : ce site surveillé par des géologues français cache 70 milliards de tonnes dans une zone politiquement explosive

Mathias Debroize
Mathias Debroize
Master 2 en finance, régulateur des marchés financiers
Cachée dans le sous-sol d’un fjord norvégien, une découverte minérale pourrait redistribuer les équilibres économiques mondiaux.

Je suis allé chercher les réponses au nord du Nord, là où le froid mord les roches et où le sol cache bien ses secrets. Depuis des mois, des géologues français, mandatés pour surveiller une zone au sud-ouest de la Norvège, observent avec prudence ce qui pourrait bien changer durablement la géopolitique des ressources naturelles. Une découverte estimée à 70 milliards de tonnes de phosphate y secoue les équilibres jusque-là dominés par d’autres continents. Et ce site, discret, s’inscrit dans un contexte politique épineux.

Un gisement colossal sous surveillance étrangère

J’ai pu m’entretenir avec plusieurs experts du Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM), qui, sans l’officialiser publiquement, confirment à mots mesurés leur présence en Norvège. Ces équipes suivent avec attention l’évolution d’un gisement situé à Helleland, une bourgade à peine signalée sur les cartes.

« On gère ça comme une mine à potentiel stratégique », m’a confié un ingénieur géologue français qui a requis l’anonymat. D’après lui, c’est moins la taille du gisement qui inquiète que ses répercussions possibles : shifts de marché, tensions géopolitiques, rivalités régionales.

« Ce n’est pas juste une nouvelle mine, c’est une pièce qui modifie l’échiquier mondial. Paris veut savoir où elle est placée. »

Car avec 70 milliards de tonnes, cette découverte dépasse de très loin les 50 milliards détenus par le Maroc (source : World Population Review). Or, jusqu’ici, l’Afrique du Nord remplissait près de 80 % des besoins mondiaux en phosphates.

Une ressource au cœur des tensions géopolitiques

Le phosphate n’est pas une roche ordinaire. Il est le socle invisible de l’agriculture mondiale. Sans phosphore, pas d’engrais. Sans engrais, pas de sécurité alimentaire.

Pays Réserves estimées (milliards de tonnes) Part mondiale (%)
Maroc 50 67 %
Norvège (Helleland) 70 Non encore intégrée officiellement
Chine 3,8 5 %
États-Unis 1 1,3 %

Une telle concentration de la ressource rend les acteurs dépendants, donc vulnérables. Le Maroc, notamment via l’OCP, exporte dans 80 pays, dont une large part vers l’Europe et les États-Unis. Mais près de 20 % de ses exportations proviennent du gisement très contesté de Bou Craa, situé au Sahara Occidental, territoire non autonome selon l’ONU (Western Sahara Resource Watch).

La découverte norvégienne intervient dans ce contexte incandescent. En d’autres termes : elle offre à l’Europe l’opportunité de couper le cordon d’un approvisionnement politiquement controversé.

Une manne énergétique… ou une poudrière écologique ?

Sur place, dans le comté de Rogaland, où se niche le site de Helleland, les réactions sont ambivalentes. Il y a l’espoir des emplois. Mais aussi la colère sourde des riverains.

« Je ne veux pas qu’on transforme ma forêt en trou noir pour les générations à venir. On est venus vivre ici pour la nature » – Liv M., habitante et éleveuse.

Les autorités norvégiennes assurent que l’exploitation se fera avec les normes environnementales les plus strictes. Mais des ONG locales comme Naturvernforbundet multiplient les alertes. Car extraire du phosphate à cette échelle, même proprement, c’est bouleverser irrémédiablement des écosystèmes sensibles. Et à cinq ans du premier coup de pelle, les plans logistiques restent flous.

Un coup dur pour Rabat… et une opportunité forcée

Le Maroc n’a guère tardé à réagir. Si Rabat reste officiellement mutique, le climat est à l’inquiétude. Selon mes informations obtenues par un consultant du secteur à Casablanca, des réunions d’urgence ont été convoquées début avril.

Trois solutions semblent émerger :

  • Renforcer la présence de l’OCP sur les marchés émergents (Afrique subsaharienne, Asie du Sud-Est)
  • Accélérer la montée en gamme des fertilisants produits localement
  • Multiplier les investissements hors du royaume (Niger, Brésil, Éthiopie)

Mais la donne a changé. Si la Norvège injecte ses volumes sur le marché mondial, la pression sur les prix sera brutale. Sans compter les contraintes liées au phosphate saharien, que plusieurs organisations internationales qualifient d’illégal (Yabiladi – archives CIA).

Et demain ? Vers une dépendance inversée ?

J’ai contacté plusieurs analystes de l’Agence Internationale de l’Énergie. Pour eux, cette découverte pourrait rééquilibrer les chaînes d’approvisionnement, notamment pour les batteries sodium-phosphate, utilisées dans la transition énergétique.

Mais à terme, cela pourrait aussi exposer l’Europe à un nouveau risque : une dépendance envers un pays unique, aussi stable soit-il. Comme me l’a dit avec cynisme un diplomate français :

« On voit la Norvège avec ses aurores boréales, ses fjords et ses prix Nobel. Mais quand la manne arrive, tous les États peuvent changer de peau. »

Devant moi, un dilemme palpable. Faut-il se réjouir de rompre une dépendance historique… au risque d’en créer une autre ? Helleland, hors des radars médiatiques jusqu’ici, est déjà un nœud du monde de demain.

Conclusion partielle : une boucle qui pourrait se refermer

À l’heure où la diplomatie énergétique devient centrale, ce tréfonds norvégien révèle plus qu’un gisement. Il rend visible les tensions invisibles, entre souveraineté, transition verte et fractures anciennes. Une découverte de 70 milliards de tonnes ? Certes. Mais aussi 70 milliards de questions encore sans réponse.

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