Ce territoire oublié abrite 32 milliards d’euros de métaux rares selon des géologues français – et personne ne vous en parle

Mathias Debroize
Mathias Debroize
Master 2 en finance, régulateur des marchés financiers
À quelques heures d’avion de Paris, un coin méconnu du globe recèle ce que nombre de pays recherchent activement.

Je me suis récemment plongé dans une enquête qui, en toute honnêteté, m’a laissé perplexe. Car pendant que l’Europe débat de souveraineté énergétique, un territoire sans stratégie minière affirmée, situé au cœur d’une région isolée des Andes, pourrait bien renfermer de quoi modifier sensiblement le rapport de force mondial autour des métaux rares.

Un sous-sol dont personne ne parle

Après des semaines de lectures fouillées, de contacts avec des géologues français et sud-américains, et quelques bases de données ouvertes issues du BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières), une information s’est imposée : selon une estimation consolidée par des experts miniers français – mais peu relayée dans les grands médias – un ensemble de gisements en altitude hébergerait pour 32 milliards d’euros de métaux rares. Cette évaluation regroupe plusieurs types de ressources stratégiques, principalement situées à la frontière entre l’Argentine et le Chili. Le projet est mené par Lundin Mining, en partenariat avec BHP, deux mastodontes du secteur extractif.

Des chiffres qui défient l’imagination

Le potentiel annoncé interpelle. Filo del Sol et Josemaria, les deux dépôts principaux, renfermeraient :

  • 13 millions de tonnes de cuivre
  • 32 millions d’onces d’or
  • 659 millions d’onces d’argent

Converti en valeur marchande (selon les cours 2024), cela représente un ordre de grandeur de plusieurs dizaines de milliards d’euros. Et ce, sans parler des terres rares potentiellement associées, non encore analysées en détail dans cette estimation.

Un déséquilibre d’information frappant

Ce qui m’a frappé, c’est le contraste entre l’ampleur de cette découverte et le discours institutionnel français sur notre dépendance aux métaux critiques. Sur le site officiel Vie Publique, on rappelle souvent à quel point la France dépend des importations, notamment en provenance de Chine, qui fournit 90 % des terres rares mondiales.

Nous avons pourtant bien identifié 55 matériaux stratégiques prioritaires, mais, comme le souligne une note récente de Minéralinfo, aucun gisement significatif n’a été confirmé sur notre territoire ou dans notre ZEE – malgré plus de 2 milliards d’investissements prévus sur cinq ans via le plan « France 2030 ».

Ce que dit le terrain

J’ai pu m’entretenir avec un géologue français indépendant, mandataire sur plusieurs projets en Amérique latine, que je nommerai Jean-Michel pour préserver son anonymat. Membre d’une mission technique sur site l’an dernier, celui-ci m’a partagé son point de vue direct :

“Ce que l’on a sous les yeux dans ces territoires andins, ce ne sont pas juste des filons : c’est un potentiel stratégique. La teneur de cuivre, combinée aux indices de lanthanides, laisse penser qu’on est face à une réserve mixte. Pourtant, nombre de décideurs, notamment en Europe, ont choisi de l’ignorer ou de s’en tenir à des discours prudents, souvent déconnectés du terrain.”

Pourquoi ce silence ?

Certaines hypothèses émergent. D’abord, le statut politique très instable des régions concernées invite à la prudence des entreprises minières européennes. Ensuite, les normes environnementales rendent difficile l’approche des investissements. Enfin, la géopolitique de la ressource impose une discrétion stratégique. Car le silence peut aussi renforcer la position de négociation, en particulier face aux géants asiatiques très présents dans la conquête minérale mondiale.

Vers un nouveau triangle stratégique ?

Ce que certains appellent déjà le « Triangle minier du Cuyo » (du nom de la région) pourrait donc se hisser au rang de zone d’intérêt géostratégique. D’autant plus que ces décennies à venir verront une croissance exponentielle de la demande en minerais utilisés pour :

  • la fabrication de batteries (cuivre, lithium)
  • l’éolien et le solaire (terre rares, argent)
  • l’aéronautique et l’informatique (or, cobalt)

Le site Sciences et Avenir rappelle que la Bretagne concentre quelques traces d’éléments stratégiques, mais ils ne dépassent pas les 0,05 % de concentration utile. Comparativement, les gisements des Andes affichent entre 0,7 % et 1,14 % de cuivre équivalent, soit des niveaux bien au-dessus des standards exploitables.

Le risque d’une nouvelle dépendance ?

Ces gisements pourraient développer l’économie de l’Amérique latine. Mais ils risquent aussi de transférer la dépendance occidentale d’un continent à un autre. Si la France et l’Union européenne n’entrent pas dans le jeu rapidement, elles pourraient louper cette fenêtre stratégique tout en restant exposées à des importations coûteuses, au moment même où la pression sur les chaînes d’approvisionnement augmente.

Un tableau clair de la situation

Territoire Potentiel estimé (en euros) Teneur / type de ressources Status
Filo del Sol ~24 milliards Cuivre, or, argent Exploration active
Josemaria ~8 milliards Cuivre, or, argent Pré-exploitation
France métropolitaine ≈0,03 milliard (théorique) Terres rares (faibles teneurs) Exploration marginale

Une lenteur française sous pression

Alors que le Canada, l’Australie ou la Chine ont lancé de vastes stratégies d’exploitation et de sécurisation de chaînes d’approvisionnement minérales, la France reste prudente. L’explication souvent avancée : des enjeux environnementaux et une méfiance historique envers les grands projets industriels. Pourtant, comme l’indique l’Institut iFRAP, cette prudence pourrait coûter cher à moyen terme. En refusant d’extraire ici ou d’investir ailleurs, nous prenons le risque de subir encore une longue dépendance coûteuse et instable.

Rien n’est joué

Le rapport technique final attendu pour 2026 pourrait faire grimper les estimations ou les réviser à la baisse. D’ici là, les États impliqués auront sans doute commencé à négocier avec de nouveaux partenaires. Le silence politique autour de cette évaluation de 32 milliards ne durera pas. Et il est légitime que cela fasse débat : voulons-nous vraiment nous priver d’un tel levier stratégique, au nom d’un statu quo énergétique déjà vacillant ?

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