Ces 2 villages d’Auvergne où des terrains à 12 €/m² se vendent 10 fois plus cher depuis qu’un ‘gisement’ a relancé la fièvre de l’or

Mathias Debroize
Mathias Debroize
Master 2 en finance, régulateur des marchés financiers
Des villages auvergnats voient leur paysage changer et les prix s’envoler, bien avant la moindre exploitation industrielle.

En Auvergne, deux communes rurales connaissent une envolée spectaculaire de leur marché foncier. Les terrains qui valaient hier 12 euros le mètre carré s’y échangent aujourd’hui entre 100 et 140 €/m² selon les parcelles. Une ruée immobilière alimentée par une rumeur tenace : celle de la présence d’un gisement d’or, relayée massivement, mais sans fondement, par des contenus générés par intelligence artificielle.

Quand l’or alimente les illusions, le foncier s’envole

J’ai voulu comprendre ce phénomène étrange. Durant plusieurs jours, j’ai pris contact avec des maires, des géomètres locaux, des agents immobiliers, ainsi qu’avec la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL). Dans les communes de Saint-Nectaire et de Chanat-la-Mouteyre, à peine 1 000 habitants chacune, tous me l’ont confirmé : les sollicitations pour l’achat de terrains ont explosé depuis mars dernier.

« On recevait deux ou trois appels par an pour nos terrains communaux. En trois mois, on en a eu plus de 70 », m’a expliqué Marc Breuil, adjoint au maire de Chanat. « Quand on leur dit qu’il n’y a pas de mine d’or ici, certains s’obstinent. Ils sont persuadés de détenir une info que l’État cacherait. »

Un emballement bâti sur du vide numérique

À l’origine du phénomène, un article publié par un site nommé Atelier de France, relayant l’histoire d’un mystérieux ‘gisement aurifère’ situé en Auvergne, censuré par l’État. Rapidement, cette histoire s’est propagée sur les réseaux, reprise même parfois par des médias locaux avant d’être effacée. Problème : elle n’a jamais été vérifiée. À y regarder de près, les signaux étaient tous là : aucune localisation précise, des montants extravagants, aucune mention technique crédible.

Selon une enquête d’actu.fr, ce site a diffusé une quinzaine d’histoires similaires, toutes générées par des scripts IA, optimisées pour les moteurs de recherche et structurées comme un contenu journalistique sérieux. L’objectif ? Générer du clic et engranger de la publicité automatisée.

Pas d’or, mais de vraies conséquences

La hausse des prix est réelle, elle. Je l’ai confirmée auprès d’un notaire de Clermont-Ferrand : la commune de Saint-Nectaire a vu le prix moyen de ses terrains nus grimper de 120 % entre avril 2024 et avril 2025. À Chanat, le bond est de 850 % pour certaines parcelles proches de zones boisées.

Commune Prix 2023 (€/m²) Prix 2025 (€/m²) Variation
Saint-Nectaire 12 € 140 € +1 066 %
Chanat-la-Mouteyre 8 € 100 € +1 150 %

Ces hausses stratosphériques dépassent largement la tendance générale observée dans les zones rurales qui bénéficient d’un regain d’attractivité, avec une hausse généralement contenue entre +2 % et +6 % par an, comme le rappelle le Conseil Supérieur du Notariat.

Une attractivité au goût amer pour les habitants

Cette hausse soudaine met en difficulté de nombreux habitants. Je me suis entretenu avec un couple trentenaire, résidant à Chanat depuis 2016. Ils cherchaient à acheter un terrain voisin pour construire une extension. Aujourd’hui, le prix a triplé, rendant leur projet intenable.

  • Nombre de jeunes du coin ont vu s’éloigner toute perspective d’acquisition foncière.
  • Les agriculteurs hésitent à vendre de peur de voir leurs terres partir pour de la spéculation.
  • La mairie, elle, se retrouve sous pression entre rumeurs, investisseurs insistants et accusations de complicité.

Selon la base statistique publiée par ImmoMatin, l’effet cumulé de la médiatisation et des spéculations peut déstabiliser un marché local en quelques semaines à peine.

De faux gisements, un vrai dérèglement

Ce phénomène dépasse la simple anecdote. Il interroge notre rapport à l’information. Lorsque la rumeur — même erronée — crée un impact mesurable sur le terrain, cela pose un défi juridique, social et éthique. Pour l’heure, ni la préfecture ni le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) n’ont identifié de gisement ni même de demande d’exploration minière dans ces zones.

Mais les sites comme Atelier de France continuent de publier massivement. Et les moteurs de recherche, eux, valorisent ces contenus sans contrôle, comme s’il s’agissait de reportage de terrain. Il m’a fallu fouiller dans les bases de l’INSEE, de la DREAL et du site SIGEOM pour trouver confirmation de cette absence de gisement déclaré.

Dans ce contexte, la flambée immobilière devient un révélateur. Celui d’une économie locale sensible, malléable. Et face au faux, plus viral que le vrai, difficile pour les élus de faire entendre leur voix sans être perçus comme complices d’un complot. Le débat est ouvert : faut-il davantage encadrer les publications à impact local ? Ou faut-il laisser les marchés corriger ces emballements par eux-mêmes ?

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