Après des mois d’entretiens, de lectures de rapports géologiques et de demandes d’accès à des documents publics, je me suis plongé dans le dossier du gisement d’or récemment validé entre Dordogne et Haute-Vienne. Les chiffres sont impressionnants. Mais une question me revient sans cesse : à qui profite cette opportunité ?
Un site reconnu par des ingénieurs-experts
Deux ingénieurs miniers indépendants que j’ai pu interviewer, tous deux anciens collaborateurs du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), ont confirmé la valeur exceptionnelle du sous-sol limousin. Après avoir analysé des carottes de forage et modélisé les volumes aurifères, ils estiment que le site pourrait rapporter jusqu’à 580 millions d’euros sur 15 ans, en se basant sur les cours actuels de l’or et une exploitation semi-intensive.
Leur étude indépendante ne fait pas partie des documents publics, mais elle a été transmise aux services ministériels début 2024 pour faciliter la délivrance du permis exclusif de recherche (PER). C’est un détail crucial : contrairement aux idées reçues, l’or en France appartient à l’État, pas aux propriétaires du terrain. Un article du site BRGM le rappelle clairement.

Un vide dans les retombées locales
Malgré les montants en jeu, aucun habitant de la région ne voit, pour l’instant, une redistribution concrète. Le permis ayant été accordé à une entreprise privée, Aurelius Resources, les bénéfices potentiels, s’ils se confirment, retourneront en grande partie vers la maison-mère en Grande-Bretagne.
J’ai interrogé plusieurs maires et conseillers municipaux concernés par le périmètre du gisement. Tous m’ont confié n’avoir reçu aucune garantie financière quant aux retombées fiscales ou à la participation à une éventuelle co-entreprise locale.
« On est spectateurs d’un processus opaque. On parle de centaines de millions d’euros, mais si on réclame un fonds de développement local, on nous répond que c’est prématuré », m’a confié Jean-Louis Chastanet, maire de Ladignac-le-Long.
Un précédent guyanais controversé
Le dossier rappelle sur plusieurs points l’affaire de la Montagne d’Or en Guyane. Là-bas, un gisement d’or estimé à 85 tonnes promettait 3 milliards d’euros de recettes. Pourtant, selon les chiffres rapportés par une analyse du WWF citée par France Nature Environnement, le coût public par emploi créé avoisinait les 560 000 euros.
Une problématique fiscale et sociale similaire se pose en Limousin, bien que de manière moins spectaculaire.
Comparatif entre Montagne d’Or et projet limousin
Critère | Montagne d’Or (Guyane) | Gisement du Limousin |
---|---|---|
Volume estimé | 85 tonnes | ~50 tonnes (estimation) |
Recettes prévues | 3 milliards € | 580 millions € |
Part locale dans les bénéfices | Quasi nulle | Négociations en suspens |
Appuis citoyens | Faibles | Divisés |

Une fiscalité peu favorable aux communes
D’après mes recherches dans les archives de la DREAL Nouvelle-Aquitaine et sur le site Mineralinfo, les mines appartiennent à « la mine » et non aux communes ni aux propriétaires. Ce statut spécifique empêche toute redevance directe locale lors de la phase d’exploration. Il faudrait attendre un éventuel passage en phase de concession pour envisager une taxe minière, mais les montants restent minimes comparés aux profits potentiels.
Des citoyens mobilisés, une parole publique absente
Sur le terrain, beaucoup de questions restent sans réponse. Aucune réunion publique officielle n’a été organisée depuis la délivrance du permis, et la préfecture a renvoyé mes questions à la DREAL, qui n’a pas souhaité commenter une procédure « encore trop précoce ».
Côté association, Stop Mines 87 appelle à un moratoire. Elle exige une transparence sur les données de pollution potentielle et un rapport hydrogéologique indépendant, en raison de la proximité de nappes souterraines sensibles dans la zone.

Demande des collectifs locaux
- Mise à disposition publique des carottes de forage et données géochimiques
- Étude d’impact indépendante commandée par une instance publique
- Garantie de fonds de compensation environnementale
Et maintenant ?
Le compte à rebours est lancé. Les cinq prochaines années de prospection fixeront les contours du projet. Mais la défiance grandit aussi rapidement que l’espoir. Une chose est sûre : dans cette affaire, le sol a peut-être de la valeur, mais le silence institutionnel est pesant. Sans redistribution équitable ni débat démocratique, la promesse d’un or durable pourrait bien se transformer en fracture territoriale.
À suivre.