Des collines modestes, des villages endormis, et sous leurs pieds, un potentiel ignoré depuis des décennies. J’ai voulu comprendre pourquoi, aujourd’hui, ces terres redeviennent stratégiques. Mon enquête m’a conduit en Île-de-France, là où les regards des industriels se tournent à nouveau, attirés par une ressource que l’on pensait réservée aux déserts marocains ou aux glaces de Norvège.
Un sous-sol que la France a longtemps négligé
Le sol français, particulièrement autour de Paris, cache bien plus que des galeries d’égouts et des parkings souterrains. Selon un récent rapport du Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM), la région Île-de-France est assise sur des réserves intéressantes d’argiles kaoliniques, de gypse, de sables siliceux et de marnes calcaires. Ces matériaux sont essentiels pour les industries du bâtiment, de la verrerie, et des composants électroniques.
Mais ce qui attire aujourd’hui l’attention des majors minières, ce n’est plus seulement le gypse ou les argiles. C’est un potentiel minéral d’une autre nature, dont l’existence n’avait pas été évaluée à sa juste valeur : le phosphate. Loin des radars médiatiques, une manne phosphatière se dessine entre Villiers-sur-Seine, Provins et Sens. J’ai rencontré un géologue indépendant qui a participé à plusieurs diagnostics miniers dans le secteur. Il a accepté de me livrer quelques confidences.
« On savait qu’il y avait des concentrations intéressantes, mais personne ne voulait investir sur du phosphate à deux heures de Paris. Maintenant que les tensions avec le Maroc et la Chine s’amplifient, tout le monde rapplique. »

Un trésor enfoui… qui attire les convoitises
Les chiffres sont impressionnants : d’après une note interne que j’ai pu consulter via une source proche du ministère de l’Économie, une estimation prudente parle de plusieurs centaines de millions de tonnes exploitables dans des conditions économiquement viables. Rien comparé aux 70 milliards de tonnes norvégiennes, mais suffisant pour affoler les métaux-prix et attirer des sociétés comme Imerys, Eramet voire des groupes internationaux comme Glencore. Toutes observent, en coulisses, le bal des autorisations d’exploration. Le BRGM a d’ailleurs lancé un nouveau programme d’identification pour réévaluer les ressources en Île-de-France (source).
Pourquoi maintenant ?
- Le phosphate est indispensable aux batteries LFP (lithium-fer-phosphate), une alternative sans cobalt.
- L’agriculture française importe chaque année plus d’un million de tonnes de fertilisants phosphatés.
- L’Union européenne cherche à renforcer son autonomie stratégique après les chocs de la pandémie, puis de la guerre en Ukraine.
Alors que la Norvège annonce l’ouverture prochaine de la mine d’Helleland (prévue pour 2029), les milieux d’affaires s’interrogent : et si la France tenait là une alternative de proximité ?
Le dilemme écologique et social
Le retour de l’industrie extractive sur le territoire francilien n’est pas sans provoquer de vives oppositions. Associations écologistes, élus locaux et riverains redoutent un impact irréversible sur la biodiversité et le cadre de vie.
À Provins, j’ai assisté à une réunion publique houleuse. Le maire, pourtant étiqueté pro-développement économique, se montre prudent. Il demande davantage de garanties sur la réhabilitation des sols, la gestion des poussières, et les trajets des camions. Car si cette relance minière venait à se confirmer, elle bouleverserait les flux logistiques en Seine-et-Marne.
D’un point de vue réglementaire, toute exploitation est aujourd’hui conditionnée à une évaluation précise des impacts via le Code minier, remanié en 2022. Pourtant, certains experts dénoncent encore des zones grises juridiques. La méfiance est donc forte.

Une décision hautement politique
Le gouvernement, selon mes informations, envisage de relancer une Politique Nationale des Ressources Minérales, coordonnée par le ministère de la Transition écologique. L’objectif : cartographier précisément le potentiel du sous-sol national et identifier les sites d’exploitation compatibles avec les objectifs climatiques. Ce choix n’est pas neutre.
Dans la dernière communication officielle disponible (source ministère de la Transition écologique), la France compte actuellement 123 mines autorisées, mais très peu sont encore actives. Le phosphate pourrait changer la donne. Certains y voient même une opportunité pour relocaliser une partie de l’industrie agricole et chimique, aujourd’hui en surdépendance vis-à-vis de fournisseurs extérieurs.
Vers un avenir minier francilien ?
La France serait-elle prête à transformer ses terres agricoles et ses forêts périurbaines en nouveaux centres extractifs ? La question n’est plus théorique. Plusieurs permis de recherches exclusifs (PER) sont en discussion, notamment en Seine-et-Marne et dans le Loiret. Ces procédures, longues et coûteuses, alimentent à la fois l’espoir économique et les craintes environnementales.
À deux pas de Paris, une bataille se profile. Une bataille souterraine, où le phosphate sert autant d’argument que de prétexte. Ce que certains qualifiaient hier de territoire oublié devient aujourd’hui une pièce stratégique sur l’échiquier des matières critiques. Les années qui viennent diront si ce pays est prêt à creuser dans ses entrailles pour assurer ses lendemains industriels.