Je suis retourné sur les terres volcaniques de la frontière Oregon-Nevada, une zone que j’avais arpentée il y a dix ans pour un reportage sur la sécheresse. Aujourd’hui, la poussière soulevée par l’appétit industriel recouvre un tout autre sujet : le lithium. Des entreprises parlent de révolution énergétique. Sur le terrain, j’ai trouvé une tension palpable entre promesse économique et mémoire du sol.
Un gisement colossal convoité par les géants de l’industrie
Le site de McDermitt Caldera, formé il y a seize millions d’années par une super éruption, constitue aujourd’hui l’un des plus grands gisements de lithium connus au monde. J’ai consulté plusieurs rapports, dont une étude détaillée publiée en 2023 par l’United States Geological Survey (USGS), qui évoque un potentiel compris entre 20 et 40 millions de tonnes de lithium. Cela représente plusieurs centaines de milliards de dollars au prix actuel du marché.
Cette estimation pourrait même atteindre plus de 1 500 milliards de dollars en valeur brute, selon des analystes indépendants que j’ai contactés. Dans le jargon minier, on parle déjà du site comme d’un futur « Saudi Arabia du lithium ». Derrière cette comparaison excessive se cachent pourtant des intérêts bien réels.

Les entreprises déjà présentes
- HiTech Minerals Inc. : responsable des premiers forages exploratoires.
- Albemarle Corp. : leader américain des produits à base de lithium, qui aurait déjà engagé des discussions de partenariat.
- Rio Tinto : groupe anglo-australien qui observe l’évolution du dossier de près, après ses projets controversés dans le Nevada.
Ce regain d’intérêt s’inscrit dans une vague massive d’investissements dans les énergies propres aux États-Unis. Selon l’Agence internationale de l’énergie (IEA), plus de 150 milliards de dollars sont actuellement injectés dans des projets de fabrication d’énergie renouvelable, avec près de 200 usines en développement sur le territoire américain (IEA, 2024).
Ce que la terre murmure encore aux anciens
J’ai rencontré Maria Jackson, membre de la tribu Shoshone-Paiute, dans une petite salle communautaire à Burns Junction. Son visage était calme, son discours, déterminé.
« Ce territoire n’est pas vacant. Nos ancêtres y ont enterré leurs prières. Ce gisement n’est pas une richesse pour nous, c’est une menace pour notre souveraineté. »
Les tribus locales dénoncent un simulacre de concertation. Le Bureau of Land Management (BLM), en charge des autorisations minières, affirme que « des discussions sont en cours », mais les leaders autochtones affirment qu’aucun protocole de consentement libre et éclairé n’a été respecté. Une contradiction qui rappelle la tension juridique autour du projet Thacker Pass dans le Nevada.
Biodiversité et ressource en eau : la zone rouge
Je me suis également entretenu avec des biologistes du Sierra Club Oregon Chapter. Ils pointent le risque pour certaines espèces endémiques, comme le sage-grouse, érigé en symbole des écosystèmes semi-désertiques de l’Ouest américain.
La présence d’argiles riches en lithium nécessite une méthode d’extraction spécifique : une séparation chimique exigeant acides, solvants et très grandes quantités d’eau. Cela pourrait affecter les nappes phréatiques locales, déjà fragiles à cause d’années de sécheresse.
Impact environnemental potentiel | Conséquences |
---|---|
Forages de grande profondeur | Fragmentation de l’habitat animal |
Utilisation de solvants chimiques | Contamination possible des sols |
Consommation d’eau élevée | Baisse des nappes phréatiques |

Une manne économique pour un comté oublié
Le comté de Malheur, qui englobe le secteur sud de McDermitt, affiche l’un des plus faibles taux de revenus moyens d’Oregon. Pour ses élus, cette opportunité est inespérée. Greg Smith, directeur de l’Autorité de Développement Économique locale, que j’ai eu au téléphone, l’assume clairement :
« Le développement de ce site pourrait redéfinir notre avenir. Mais il faudra que tout soit strictement encadré. Sans ça, ce sera ingérable. »
Les représentants de l’industrie promettent déjà plus de 1 500 emplois directs et des contrats indirects pour les petites entreprises locales. Mais les habitants réclament des engagements clairs sur la durée de l’exploitation, la réhabilitation des sols, et surtout une redistribution transparente des redevances minières.
USA contre Chine : autonomie stratégique ou nouvelle dépendance ?
Avec près de 80 % du lithium mondial raffiné en Chine, Washington a tout intérêt à sécuriser des sources domestiques. Cela explique le soutien actif du département de l’Énergie américain (DOE), qui a inscrit le lithium au rang de « matière première critique » dans son plan stratégique 2023-2028.
Mais favoriser l’extraction brute plutôt que le recyclage n’est pas sans conséquences. Le lithium contenu dans les batteries usagées pourrait suffire à couvrir une part croissante des besoins, si les technologies de recyclage étaient davantage financées. Certains chercheurs cités par l’American Clean Power Association militent pour une bascule du soutien public vers ces alternatives moins destructrices.

Prochaines étapes : une équation sans solution simple
La décision d’autoriser ou non l’exploitation à grande échelle de McDermitt Caldera pourrait devenir un précédent majeur. J’ai croisé des habitants inquiets mais pas hostiles. Beaucoup acceptent l’idée d’une transition énergétique, mais pas à n’importe quelle condition. Ils demandent à être écoutés autrement qu’à travers des rapports d’impact que peu peuvent lire.
D’ici fin 2025, le Bureau of Land Management devrait publier un rapport environnemental complet. Il faudra aussi statuer sur le droit d’usage des terres ancestrales pour les tribus. Une fracture se joue ici entre deux visions de l’Amérique : celle qui exploite tout, et celle qui pense avant d’extraire.
Pour moi, le véritable trésor enfoui sous cette zone n’est peut-être pas dans ses argiles. Il est dans les décisions que nous nous apprêtons à prendre. À court terme, les profits semblent évidents. Mais sera-t-il possible d’en extraire du sens ?