À Ville-sur-Jarnioux, petite commune située au sud du Beaujolais, l’annonce a fait l’effet d’un électrochoc. Un gisement de silice verrière dormant depuis des décennies pourrait donner naissance à une industrie promettant jusqu’à 600 emplois directs. Mais alors que les discussions battent leur plein, les habitants, eux, commencent à compter les camions. La nuit surtout.
Un filon souterrain, une promesse économique
La découverte — ou plutôt la redécouverte — d’un gisement de silice verrière enfoui sous plusieurs dizaines de mètres de conglomérats ferrugineux a relancé les rêves de diversification industrielle dans une région traditionnellement tournée vers la viticulture. Selon une première étude géologique confidentielle que j’ai pu consulter, le gisement offrirait une quartzite d’excellente pureté, propice à la production de verre plat, de fibre optique et même de photovoltaïque.
Selon le groupe minier alsacien Silinor, à l’origine de l’exploration, le projet « BeaujolQuartz » pourrait générer :
- Une extraction annuelle de 120 000 tonnes de silice
- Un redémarrage de la verrerie de Tarare, actuellement en sommeil
- La création de 600 emplois directs d’ici 2027
Les élus locaux, confrontés à la désertification économique et au vieillissement de la population, saluent un éventuel retournement. Le maire de Ville-sur-Jarnioux, Jean-Marie Balland, tempère toutefois l’enthousiasme : « Tant qu’on ne voit pas les plans définitifs ni un garant environnemental, on reste prudents. Mais oui, on a besoin d’emplois ici. »

Un ballet nocturne de camions
Derrière cette embellie statistique, certains riverains flairent déjà des dégradations. Depuis juin, une dizaine de camions benne circulent chaque nuit, entre 23h et 6h, sur les départementales étroites reliant les zones test du futur site aux entrepôts de stockage en périphérie.
« Ça fait trois semaines que je dors avec des bouchons. On les compte : cinq camions entre trois heures et quatre heures du matin la nuit dernière. On ne nous dit rien, mais on comprend vite que les études ont déjà commencé », témoigne Élodie Charnay, habitante du hameau de la Croix-Rousse.
D’après les informations que j’ai pu recouper, ces allées et venues seraient liées à des forages-tests lancés en « phase 0 », sans extraction commerciale officielle. Silinor assure que « tout est conforme aux protocoles réglementaires » et promet prochainement une réunion publique.
La question environnementale en filigrane
Si les retombées économiques paraissent séduisantes, l’impact écologique reste l’angle mort de la communication des porteurs de projet. La plaine visée borde trois zones naturelles classées comme zones humides et abrite une avifaune protégée de milans noirs et huppes fasciées. Surtout, la nappe phréatique du secteur est source d’alimentation pour cinq villages environnants.
Une hydrogéologue indépendante sollicitée par mes soins, Catherine Roux, pointe les incertitudes : « Sans modélisation précise, on ignore l’impact que des forages profonds pourraient avoir sur le niveau de la nappe. Ce type de silice se trouve souvent en couche sous des grès très poreux, qui laissent passer les eaux souterraines. »
Éléments sensibles | Potentiel impacté par l’extraction |
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Nappe phréatique | Baisse de 20 à 30 % du niveau annuel selon scénario haut |
Réseau routier | +35 % de trafic routier nocturne prévu sur D71 et D385 |
Réserve de biodiversité locale | Risques accrus de dérangement de nicheurs |
Une fracture territoriale en germe
Comme souvent dans ces projets mixtes, les lignes de fracture se dessinent au fil des réunions informelles. Les jeunes actifs et les commerçants de Tarare ou L’Arbresle espèrent une relance industrielle salvatrice. Les retraités et viticulteurs, plus ancrés sur leurs terres, s’inquiètent des bouleversements que le projet pourrait desencadrer.
« Sur le papier, 600 emplois, c’est un miracle. Mais à quel prix ? On a vu ailleurs ce que donne ce genre d’exploitation : des paysages éventrés, des nappes vides, et dans 20 ans, plus personne », confie Vincent Degueurce, ancien géologue reconverti en paysan bio dans la vallée voisine.

Et maintenant ?
Le préfet du Rhône a mandaté une commission indépendante, qui remettra un rapport d’ici janvier. En attendant, les riverains continuent à compter. Pas les emplois. Les camions.