Ce champ de 12 hectares, que Patrice Monge cultive depuis vingt-six ans, a vu sa destinée basculer il y a quelques mois. Jusqu’ici fertile et silencieux, il cache désormais un potentiel stratégique majeur : un gisement de terres rares, ces métaux cruciaux pour la transition énergétique. L’annonce, d’abord discrète, a entraîné une vague d’événements que ni lui, ni le village, ne pouvaient anticiper.
Une découverte par hasard
En mai dernier, lors de relevés planifiés dans le cadre d’un programme régional d’analyse des sols, des géologues mandatés par le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) ont détecté la présence anormale de monazite et de bastnäsite, deux minerais chargés en terres rares, sous les terres de Patrice Monge, à proximité de Poligny, dans le Jura.
Alertée par le caractère « stratégique » du site, la préfecture a tranché quelques semaines plus tard : le champ a été considéré comme zone d’intérêt national et réquisitionné au titre du Code minier. L’agriculteur a été informé par lettre recommandée que son terrain ne lui appartenait plus « à usage minier ».
Une indemnité qui provoque l’indignation
Alors que certains attendaient une compensation à la hauteur de la valeur annoncée du sous-sol — estimée par des experts privés à plusieurs centaines de millions d’euros sur la durée d’exploitation —, Patrice Monge a reçu une proposition officielle d’indemnité : 12 350 euros.
« Ils m’ont dit que c’était calculé sur la base de la valeur agricole actuelle, pas du potentiel minier. Je suis resté sans voix. Mon champ ne vaut plus du foin, c’est un gisement stratégique, et ils le savent. » — Patrice Monge, agriculteur dépossédé
Cette indemnisation, qualifiée de « formalité administrative » par la préfecture, met en lumière un vide juridique : le Code minier français, remanié en 2022, ne prévoit pas d’indemnité en lien avec la valeur potentielle des ressources souterraines, mais uniquement en lien avec l’usage immédiat du terrain.
Pourquoi les terres rares changent la donne
Les terres rares sont essentielles à la fabrication de batteries, éoliennes, moteurs électriques ou encore de smartphones. Leur demande croît rapidement, tirée par les ambitions climatiques de l’Union européenne et la crise géopolitique actuelle qui pousse les États à rechercher une souveraineté minérale.
Selon une étude publiée par l’IFP Énergies nouvelles, la consommation annuelle de terres rares devrait doubler d’ici 2035.
Élément | Utilisation principale | Réserve mondiale estimée |
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Néodyme | Magnétisme pour moteurs électriques | 8 millions de tonnes |
Dysprosium | Alliages aimantés haute température | 1,5 million de tonnes |
Cérium | Polissage, catalyseurs | 24 millions de tonnes |
Un précédent qui inquiète les riverains
La situation de Patrice Monge n’est pas isolée. Dans les environs, plusieurs dizaines d’hectares ont soudainement été analysés « pour des fins géotechniques », avec des signaux inquiétants pour les propriétaires.
- Aucune concertation locale préalable
- Des indemnités fixées unilatéralement par l’administration
- Pas de juge indépendant avant la réquisition
« On sent que tout est déjà bouclé. Quand on demande des précisions, ils nous balancent des articles de loi. On est traités comme des obstacles à contourner, pas comme des citoyens. » — Annie Gaudel, propriétaire voisine impactée
Basculement silencieux du droit foncier
Le droit minier français repose toujours sur une dichotomie héritée du XIXe siècle : le sol appartient au propriétaire, mais le sous-sol — au moins pour les ressources stratégiques ou déclarées — revient à l’État qui peut en décider librement de l’usage.
Ce fondement, rarement remis en cause jusqu’ici, trouve aujourd’hui ses limites dans un climat où les citoyens revendiquent plus de transparence et de partage des bénéfices nationaux.
Certaines voix commencent à s’élever pour réclamer un alignement avec d’autres pays européens comme la Suède, où un pourcentage des bénéfices est redistribué aux propriétaires fonciers affectés, ou au moins une règle d’évaluation indépendante de l’indemnisation.
Et maintenant ?
La préfecture a missionné une société d’économie mixte pour planifier l’extraction et sécuriser le périmètre. Patrice Monge, lui, refuse d’abandonner son combat. Soutenu par un collectif local, il a saisi un cabinet d’avocats pour contester juridiquement le montant de l’indemnisation, dénonçant un enrichissement sans partage de la puissance publique.
Les enjeux touchent désormais bien plus qu’un seul champ jurassien. À travers ce litige, c’est la question de la souveraineté minérale en France, et de son articulation avec les droits des citoyens, qui se trouve brutalement exposée au grand jour.