Alors que la France importe plus de 150 000 tonnes de barytine chaque année, un gisement oublié de la Haute-Loire pourrait, en théorie, relancer une production nationale. Un site discret, aux abords de Saint-Arcons-de-Barges, attirerait aujourd’hui les convoitises de plusieurs acteurs industriels. Pourtant, malgré la richesse estimée de ce dépôt, aucune pelle mécanique n’a encore mordu la roche.
La barytine, pierre stratégique des forages pétroliers
La barytine, ou sulfate de baryum (BaSO₄), est un minerai dense utilisé depuis des décennies pour alourdir les boues de forage dans les puits pétroliers. Sans elle, la pression souterraine ferait remonter les hydrocarbures de manière incontrôlable. Ses propriétés chimiques en font également un ingrédient prisé dans les bétons à haute densité, les verres techniques ou encore la radioprotection.
Seule une poignée de pays exporte aujourd’hui de la barytine : la Chine, l’Inde, le Maroc. Avec la fermeture en 2006 de la carrière de Chaillac (Indre), la France est devenue dépendante de ces importations. Mais un ancien gisement en Haute-Loire pourrait changer la donne.

Un filon prometteur, oublié depuis les années 70
Aux confins du massif du Devès, à plus de 900 mètres d’altitude, les anciennes galeries de la zone d’Aurouze dorment sous les chênes. L’histoire locale se souvient des filons fluo-barytiques activement exploités jusqu’en 1970, notamment le filon dit des « Eaux Minérales », profond de plus de 100 mètres.
« Ce n’est pas un espoir vague, c’est un minerai qui alimente directement l’industrie pétrolière », me confie Patrick T., ingénieur en géologie basé dans la région. « La barytine est ici présente à forte densité. Les reins du gisement n’ont jamais été pleinement explorés, faute de technologies à l’époque. »
D’après les données compilées récemment par le BRGM, le site possèderait encore plusieurs dizaines de milliers de tonnes exploitables. De subtiles mesures magnétiques et d’échantillonnage réalisées en 2023 ont confirmé la présence d’un filon actif concentré à plus de 85 % en sulfate de baryum. Un gisement d’importance nationale selon plusieurs experts.
Un projet suspendu dans le flou administratif
Pourquoi alors la carrière attend-elle toujours ? Le silence règne côté préfecture. Aucun arrêté d’interdiction n’a été publié, selon nos vérifications. Aucun rejet formel non plus. « La situation est gelée », confesse un technicien proche du dossier. Et les raisons restent opaques.
Trois hypothèses circulent :
- Des contraintes écologiques liées à la présence d’espèces protégées sur le site (enquête en cours, selon des associations locales)
- Un conflit discret sur le foncier, plusieurs parcelles étant en indivision privée
- Des hésitations politiques à relancer une activité minière alors que le territoire promeut le tourisme vert
Entre les lignes, le mot « barytine » effraie encore. Il rappelle à certains les stigmates de l’exploitation minière du siècle dernier, tandis que d’autres y voient un potentiel de relance économique pour une région en perte d’activité industrielle.
Consommation en hausse, dépendance aussi
La France consomme entre 40 000 et 80 000 tonnes de barytine par an pour le seul secteur pétrolier, selon les chiffres fournis par le GIE hydrocarbures. Depuis la fermeture de Chaillac, 100 % de cette matière est importée. Une situation que certains parlementaires considèrent comme un risque stratégique.
La croissance des forages offshore en Afrique et au Moyen-Orient dope la demande mondiale. Les prix du minerai ont doublé entre 2020 et 2024. La Chine, première productrice mondiale, impose désormais des quotas à l’exportation.
Pays exportateur | Part de marché mondiale (%) | Évolution des prix 2020-2024 |
---|---|---|
Chine | 35% | +80% |
Inde | 18% | +65% |
Maroc | 12% | +55% |
France | 0% | n/a |
Une filière minière nationale freinée par l’incertitude
Le chantier d’une relance de l’exploitation minière en France n’est pas simple. Le code minier, toujours en cours de réforme, rend difficile la sécurisation de projets à long terme. Et les acteurs locaux sont divisés.
« Il y a de la pression des industriels, oui. Mais il y a aussi une incompréhension sur les procédures », résume Patrick T., que je retrouve un mois plus tard. « On voudrait savoir. C’est tout. Un oui ou un non, mais pas ce silence. »
Alors que la France affiche une volonté de réindustrialisation dans plusieurs secteurs stratégiques, la minéralité de ses sous-sols reste, elle, suspendue à des arbitrages peu lisibles. En Haute-Loire, on parle désormais « d’attente tactique ». Mais chez certains élus et géologues, un mot revient de plus en plus souvent : gâchis.