Provence : un gisement d’uranium “rouvert pour bilan” renvoie aux erreurs du passé « les familles reçoivent un pli »

Paul Emond
Paul Emond
Journaliste indépendant pour coursdesmetaux.fr
Dans les collines silencieuses du Sud provençal, une lettre reçue par plusieurs familles ravive les souvenirs d’un passé industriel que beaucoup croyaient définitivement refermé.

À quelques kilomètres de Manosque, au creux d’un vallon méconnu du Lubéron, un dossier à l’épaisseur négligée depuis quatre décennies vient de refaire surface. Le site dit ‘de Gafane’, ancien site de prospection minière abandonné en 1984, fait aujourd’hui l’objet d’un ‘bilan environnemental officiel’. Une série de courriers expédiés courant août à une soixantaine de foyers des environs n’a pas tardé à réveiller les craintes d’un héritage toxique longtemps ignoré.

Une relance discrète mais significative

Mise en sommeil depuis 1984, la zone de Gafane n’avait jamais été formellement classée parmi les anciens sites d’extraction d’uranium. Pourtant, des forages avaient bien été entrepris dans les années 1970, à une période où le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) intensifiait les explorations à travers le territoire. La remise en route de cette vieille affaire ne fait pas l’objet d’une relance économique, mais bien d’un état des lieux environnemental, commandé dans le cadre de la politique nationale d’« inventaire post-industriel ».

À l’intérieur du pli reçu, les riverains découvrent une carte du périmètre concerné, un questionnaire de santé environnementale, et le détail d’une réunion d’information qui s’est tenue le 3 septembre à la mairie de Saint-Martial-les-Bois. Pour beaucoup, c’est la première fois qu’ils entendent parler de cette histoire.

« Les familles reçoivent un pli », une annonce qui interpelle

La formule, prononcée les lèvres pincées par Renée Léoni, une habitante de toujours, résonne alors comme un avertissement. Elle fut l’une des premières à ouvrir ce courrier d’apparence anodine qu’elle a d’abord pris pour une erreur de la Poste. Pourtant, quelques archéologues de mémoire dans le village se souviennent d’anciens allers-retours de camions bâchés dans les années 70.

« On savait vaguement qu’ils avaient creusé ici pour chercher quelque chose. Mais on nous a jamais dit ce que c’était vraiment. Maintenant, quarante ans plus tard, ils reviennent pour nous dire qu’on pourrait peut-être avoir respiré ou bu quelque chose de douteux ? » — Renée Léoni

Les documents consultés confirment que des forages réalisés entre 1972 et 1978 sur le versant nord du vallon avaient révélé des traces significatives d’uraninite, une forme minérale d’uranium. Un seuil jugé « non exploitable » à l’époque, mais suffisant pour poser aujourd’hui des questions sur les résidus laissés dans les sols et les infiltrations possibles.

Un risque sanitaire ? L’administration se veut rassurante

À la préfecture de Digne-les-Bains, on parle de mesures préventives et de transparence. L’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) a lancé des prélèvements d’eau et de sédiments dès le mois de juillet, dans le cadre d’une campagne nationale sur quatre anciens sites similaires en France.

Nom du site Département Période d’activité Statut actuel
Saint-Pierre-de-Besse Corrèze 1975-1983 Bilan en cours
Gafane (Saint-Martial-les-Bois) Alpes-de-Haute-Provence 1972-1978 Bilan en cours
Mesnils-sur-Orne Orne 1973-1980 Neutralisé en 1995
Estrade-les-Mines Gers 1976-1986 Non confirmé

Selon le ministère de la Transition écologique, aucune activité radioactive ne dépasse pour l’instant les seuils de sécurité. Mais l’historien Nicolas Vezin, spécialiste des zones industrielles oubliées, souligne un risque récurrent en France : « la gestion des sites abandonnés est restée floue jusqu’en 2006. Beaucoup de données ont été classées ou dispersées entre plusieurs services régionaux ». Une remarque qui alimente la méfiance locale.

Des conséquences sociales imprévues

Dans le hameau du Mas Blanc, la remise en cause de l’habitabilité n’est pas un sujet marginal. Des familles qui avaient déjà subi, dans les années 2000, un déclassement agricole en raison d’un autre contentieux foncier, redoutent des effets collatéraux : chute du prix de l’immobilier, frein à la transmission, perte de confiance générale.

Luc Morand, agriculteur bio à proximité, parle de ses craintes en des termes simples :

« Si demain mes clients lisent que mon eau ou mon sol a peut-être touché à l’uranium, même à dose infime, je ne suis pas sûr que la nuance les rassure. Et moi, je fais comment ? » — Luc Morand

Ce retour d’un dossier poussiéreux au cœur de cette Provence confidentielle met en lumière un enjeu plus large : celui de la mémoire environnementale. De nombreuses terres en France portent encore les traces d’exploitations minières, souvent classées sans enquête, parfois refermées en silence.

Ce que dit l’État, ce que retiennent les habitants

Officiellement, le « bilan environnemental » n’augure aucune reprise d’activité, ni réelle menace. Mais pour les familles qui reçoivent aujourd’hui ces enveloppes sépia, il est difficile d’y voir autre chose qu’un réveil brutal.

  • Des campagnes de mesure se poursuivront jusqu’à novembre
  • Les premiers résultats seront rendus publics début 2026
  • Un comité de suivi local a été proposé aux habitants
  • La zone reste classée en « sous-vigilance »

Les mots employés n’ont plus lieu d’être vagues. Dans cette affaire, ce ne sont pas l’uranium ou les cartes géologiques qui inquiètent le plus. Ce sont les silences. Et ceux-là ont la mémoire longue.

5 réflexions sur “Provence : un gisement d’uranium “rouvert pour bilan” renvoie aux erreurs du passé « les familles reçoivent un pli »”

  1. Théodore Brousseau

    C’est inquiétant de voir que cette histoire ressurgit après tant d’années. Les gens ont le droit de savoir ce qu’il s’est passé et ce que cela implique pour leur santé. On a besoin de réponses claires, pas de discours rassurants qui ne cachent que des silences.

  2. Léonard Corbeau

    C’est vraiment inquiétant que des zones comme Gafane aient été laissées dans l’oubli si longtemps. Les habitants méritent d’être rassurés et informés. La gestion des sites abandonnés doit être plus transparente pour éviter de semer la panique dans la communauté.

  3. C’est vraiment inquiétant d’apprendre qu’après tant d’années, des résidus d’uranium pourraient encore poser un risque. Les silences et le manque d’information des décennies passées rendent la situation d’autant plus préoccupante. Comment les autorités prévoient-elles de rassurer la population ?

  4. L’auteur a brillamment mis en lumière une problématique souvent négligée. Son analyse approfondie sur l’héritage environnemental du site de Gafane est essentielle. Je suis d’accord avec son constat : il est temps de regarder ces silences et de ne pas ignorer les conséquences de notre passé sur notre présent.

  5. Ce qu’il se passe à Gafane est inquiétant. Les gens ne doivent pas subir des conséquences d’anciennes exploitations. Les résultats de ces bilans vont mettre en lumière des questions qui auraient dû être traitées depuis longtemps. La transparence est essentielle pour restaurer la confiance des Riverains.

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