Un filon d’argile sous l’atelier du village, la briqueterie promet des emplois, le maire perd le terrain communal

Paul Emond
Paul Emond
Journaliste indépendant pour coursdesmetaux.fr
Un projet artisanal inattendu s’ouvre sous les pieds des habitants de Saint-Clément-sur-Vanne. Ce petit village de l'Yonne pourrait bien voir rejaillir une activité oubliée, avec la promesse de créations locales et d'embauches dans les mois à venir.

Ce qui n’était au départ qu’un projet de réhabilitation de l’ancien atelier communal s’est transformé, contre toute attente, en découverte géologique. Et pas des moindres : un filon d’argile rouge compact a été mis au jour lors des premiers travaux de terrassement, réveillant un savoir-faire céramique que le village avait enfoui avec le siècle passé.

Une découverte aussi inattendue que stratégique

C’est en arrachant les dalles de l’ancien atelier municipal, fermé depuis 1998, que les ouvriers sont tombés sur une veine d’argile dense, épaisse de plusieurs mètres. Analyse en laboratoire, carottage, tout confirme une qualité exceptionnelle. Une argile riche en kaolinite, modelable, résistante à haute température, idéale pour la fabrication de briques et de tuiles.

Une société locale, Argilor, spécialisée dans la terraformation céramique, n’a pas tardé à proposer un partenariat. Elle souhaite implanter sur place une micro-briqueterie, avec un rythme de production modeste mais régulier : 3 200 briques par semaine, soit près de 166 000 briques par an.

« Le gisement est petit, mais très pur. On savait qu’il y avait de l’argile dans la région, mais pas à cette profondeur et encore moins en plein centre-bourg. C’est comme si le sol avait gardé le secret depuis deux siècles » — confie Vincent Salaun, géologue indépendant mandaté pour l’étude des sols.

Une promesse d’emplois et de circuits courts

Le maire Xavier Tardieu y a immédiatement vu une opportunité : relancer une activité artisanale, créer des emplois non délocalisables, et fournir les communes alentours en matériaux éco-responsables. Le projet prévoit, à plein régime, l’embauche de 7 personnes en CDI, dont :

  • 2 maîtres-briquetiers
  • 3 manutentionnaires et conditionneurs
  • 1 agent logistique pour livraisons locales
  • 1 coordinateur technique et qualité

L’investissement serait financé à 45 % par Argilor, 30 % par des subventions régionales Bourgogne-Franche-Comté, et 25 % via un fonds citoyen de la commune, constitué sur la base du volontariat.

Mais un flou juridique autour du terrain communal

Le rebondissement ne se situe pas qu’au fond du sous-sol. En surface, les choses se compliquent. Car le terrain sur lequel se situe l’ancien atelier a récemment changé de main. Ou plutôt, il a échappé à la mairie dans des circonstances que beaucoup qualifient, au mieux, de confuses.

Un acte notarié daté de février 2023 stipule que la parcelle AB-119, qui abrite l’atelier, a été « cédée à titre gracieux » à une association culturelle fondée par des membres de la famille du maire. Dans le village, les discussions s’enflamment autour de ce transfert de propriété qui n’a fait l’objet d’aucune délibération en conseil municipal ni d’annonce publique.

« On nous a dit que c’était pour préserver le bâtiment, pour en faire un local pour les jeunes. Personne n’a voté cette cession. Aucun appel d’offres, rien. Maintenant, c’est cette association qui négocie avec Argilor pour exploiter l’argile ? Ça ressemble à une prise de bout de terre organisée » — accuse Marie-Odile Lefranc, conseillère municipale d’opposition.

Cession irrégulière ou arrangement toléré ?

La préfecture, saisie par une association de riverains, a ouvert une enquête administrative. Si les faits sont avérés, il pourrait s’agir d’une infraction qualifiée de concussion (article 432-10 du Code pénal), c’est-à-dire un avantage indu accordé par une autorité publique dans l’exercice de ses fonctions.

Consulté par nos soins, un juriste spécialisé en droit public local précise :

Type d’anomalie Sanction possible
Cession sans délibération Nullité de l’acte
Absence de publicité du transfert Atteinte à la transparence
Avantage accordé à un proche Concussion / Détournement potentiel

Vers un compromis local ?

Face aux tensions, la mairie a annoncé vouloir « régulariser la situation », tout en maintenant son soutien au projet briquetier. Une médiation est en cours entre la commune, l’association détentrice du terrain et la société Argilor.

Certains habitants continuent d’espérer que l’or rouge du sous-sol profitera à tous. Mais dans ce village de 730 âmes, l’argile a déjà soulevé plus de divisions que d’emplois. Une chose est sûre : ce genre de gisement n’apparaît pas deux fois dans une génération, et personne ici ne veut le voir s’enfuir dans la mauvaise direction.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut