Grève des médecins : « j’ai dû faire 42 km pour un rendez-vous », la colère monte face aux déserts médicaux

Mathias Debroize
Mathias Debroize
Master 2 en finance, régulateur des marchés financiers
Dans certains territoires, l'accès au soin devient un parcours du combattant. Pendant ce temps, les médecins battent le pavé.

Alors que la grève des médecins entre dans sa cinquième semaine, elle fait ressurgir une réalité que beaucoup vivent de plus en plus durement : celle des déserts médicaux. Sur fond de désaccord autour d’un projet de loi sur l’installation des praticiens, la colère des citoyens grandit, à mesure que les kilomètres s’allongent pour consulter un généraliste.

Quand un rendez-vous devient un trajet

À Châtillon-sur-Loire, commune du Loiret de 2 700 habitants, Lætitia Rollin, 38 ans, auxiliaire de vie, témoigne de son épuisement face à la situation. Son médecin traitant, parti à la retraite en 2022, n’a jamais été remplacé. Alors, pour consulter, elle doit désormais se rendre à Gien ou Montargis.

« J’ai dû faire 42 kilomètres pour un rendez-vous. C’est trois heures de ma journée, du carburant en plus, et une culpabilité de devoir poser des congés pour aller consulter », explique-t-elle, visiblement fatiguée. « Le pire, c’est que c’était juste pour renouveler un traitement que je prends depuis dix ans. »

Elle n’est pas un cas isolé. Selon les derniers chiffres de la DREES, plus de six millions de Français vivaient sans médecin traitant en 2024 (Le Monde). Ce chiffre monte en flèche dans certaines zones rurales ou périurbaines où l’on compte moins d’un généraliste pour 2 000 habitants.

Une grève prolongée et des positions figées

Déclenchée le 28 avril 2025, la grève a été lancée par plusieurs organisations de jeunes médecins, notamment ReAGJIR et la FMF, en réponse au projet de loi porté par le député Guillaume Garot. Ce texte prévoit notamment de restreindre la liberté d’installation des praticiens dans les zones dites « surdotées » en généralistes.

Les mesures proposées :

  • Obligation d’obtenir l’autorisation de l’agence régionale de santé (ARS) avant toute installation
  • Blocage de nouvelles installations dans 4 580 communes déjà bien dotées
  • Remplacement obligatoire en zone sous-médicalisée lors d’un départ

Cette régulation territoriale est vue par de nombreux médecins comme une atteinte à leur autonomie et un facteur supplémentaire de désaffection pour la médecine générale. « On aura encore moins de candidats si on bloque l’installation. C’est un suicide sanitaire », m’a confié un interne en médecine générale, sous anonymat.

La réponse du gouvernement : entre cartographie et coercition

Face à une crise qui s’aggrave, Matignon a avancé plusieurs propositions. Le Premier ministre François Bayrou a annoncé le lancement d’une « cartographie nationale des zones prioritaires » assortie de mesures concrètes :

Proposition Détail
Jours de consultation 2 jours minimum par mois pour tous les médecins dans les zones rouges
Stimulation des stages Obligation de stage en zone sous-dense pour les internes
Prime incitative Jusqu’à 50 000€ sur 5 ans pour les installations en zone prioritaire

Mais ces annonces, bien qu’appréciées dans certaines collectivités, peinent à convaincre. Les syndicats dénoncent un manque de concertation et craignent un effet d’opérations ponctuelles sans ancrage durable. Le Conseil national de l’Ordre des médecins alerte aussi sur une donnée inquiétante : la moitié des médecins libéraux s’installe dans un rayon de 85 km autour de leur lieu de naissance (Atlas démographique 2025).

Quand le manque devient une habitude

Dans les territoires déjà fragiles, le ressenti des patients, comme Lætitia, oscille entre résignation et colère. « Le sentiment d’abandon est réel », m’a résumé un maire d’une petite commune du Lot, à qui j’ai parlé avant-hier. « J’ai plus de coiffeurs que de médecins sur mon territoire, et je ne stigmatise personne. »

Les associations d’usagers multiplient les alertes : délais de rendez-vous de plus de deux mois, recours aux urgences pour des pathologies bénignes, automédication risquée. Les effets de la grève, bien que limités par une permanence minimale, creusent un peu plus la fracture sanitaire.

Entre régulation et attractivité, la tension grandit

L’idée d’une répartition autoritaire des médecins entre les régions divise profondément. Elle répond à une urgence – celle des déserts médicaux – mais heurte une profession déjà essorée, en perte de sens pour les jeunes diplômés.

Entre incitation économique, incursion législative et mobilisation syndicale, le débat semble se figer. Reste une réalité brutale pour des millions de Français : faire 42 kilomètres pour un simple renouvellement d’ordonnance. Et se demander si, demain, quelqu’un sera là pour répondre au téléphone quand la fièvre monte chez l’enfant ou que la douleur devient insupportable chez l’aîné.


Quels sont les principaux arguments des médecins contre la régulation de leur installation ?

Les médecins dénoncent une atteinte à leur liberté professionnelle. Ils redoutent que la régulation les détourne de l’exercice libéral et ajoutent que le blocage systématique des zones dites surdotées décourage toute reconversion ou spécialisation tardive. Enfin, beaucoup craignent une dérive administrative accroissant la complexité de leur pratique.

Comment les déserts médicaux affectent-ils les patients dans les zones rurales ?

Les patients subissent des délais très longs, des frais de transport accrus, des pertes de revenu quand une consultation devient une demi-journée voire une journée d’absence. L’accès aux dépistages et aux soins chroniques est fortement perturbé, avec un report massif sur les urgences ou l’automédication.

Quelles sont les alternatives proposées par le gouvernement pour lutter contre les déserts médicaux ?

Le gouvernement mise sur une logique mixte : coercition (2 jours de consultation par mois obligatoires), incitation financière (primes à l’installation) et restructuration de la formation (stages obligatoires en zone sous-dotée). Une cartographie des zones prioritaires doit être publiée dans le mois.

Comment les jeunes médecins perçoivent-ils les mesures de régulation proposées ?

Les jeunes médecins sont parmi les plus actifs dans la contestation actuelle. Ils estiment que les mesures ne répondent pas aux causes profondes de la crise (conditions de travail, bureaucratie, isolement) et craignent d’être assignés dans des zones où ils ne souhaitent pas vivre ou fonder une famille.

Quels sont les impacts potentiels de la grève des médecins sur le système de santé ?

À court terme, la grève affecte surtout la disponibilité des consultations non urgentes, notamment dans les grandes villes où la mobilisation est forte. Mais à long terme, si la tension ne se résorbe pas, des milliers de patients pourraient se retrouver durablement sans accès aux soins primaires, fragilisant tout l’équilibre du parcours de santé.

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